Vers le début des années 80, on assiste, sur la scène littéraire française, à un renouveau romanesque qu'une certaine conception avant-gardiste de la littérature (anti-référentielle, repliée sur les jeux de formes et ses propres procédés autoréflexifs) avait farouchement récusé. Une résurgence du référent et du plaisir de l'intrigue qui s'accompagne, entre autres, d'un retour au réel. C'est précisément celui-ci que nous entendons souligner voire interroger sous l'angle de l'hyperréalisme (« photorealism » en anglais) chez des écrivains contemporains comme François Bon notamment Jean-Philippe Toussaint. Ces derniers proposent une écriture singulière qui se place moins sous le signe d'un réalisme transcendant (dans sa configuration classique balzacienne ou zolienne) que sous celui d'une capture insolite de notre temps présent. Tel l'objectif d'une caméra, leurs œuvres focalisent l'attention, dans le sillage des peintures hyperréalistes, sur des bribes de notre quotidien saisis dans leur banalité triviale[1] ou leur évanescence intrinsèque[2] avec une précision exacerbée ; des lieux et décors urbains -notamment les « non-lieux » (Marc Augé) - aux objets prosaïques ou ultra-techniques et modernes en passant par les graffitis, strapontins de métro, affiches publicitaires ou reliques du fast-food (salière, bouteille de ketchup, cannette…) érigées en « véritables natures mortes de notre époque » contemporaine comme dans les toiles de Ralph Goings et Linda Bacon[3]. En mettant le doigt sur ces particularités, cette étude entend souligner comment, dans leur concurrence avec le cliché photographique, ces œuvres s'en rapprochent et s'en distancient toutefois.
[1] Comme la salle de bain à laquelle Jean Philippe Toussaint rend hommage, à l'échelle même du titre, dans son roman du même nom (Minuit, 2005).
[2] La composition de Tumulte (Fayard, 2006) de François Bon emblématise cette évanescence ; en s'inspirant de la photographie numérique, ce « roman » donne lieu à plusieurs récits courts (dont la longueur parfois ne va pas au-delà d'un paragraphe) - et souvent sans lien apparent – offerts mimétiquement à notre lecture à coup de flashs photographiques.
[3] Catherine Douzou, « Le retour du réel dans l'espace de Jean Echenoz » in Jean Echenoz : une tentative modeste de description du monde, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2006.