Le roman de Yasmina KHADRA, Ce que le jour doit à la nuit (2008), se caractérise par le « retour du référent », non pas pour écrire les déviations de la société algérienne après l'indépendance, ni le terrorisme qui la secoue dans les années 90, ni les malaises de l'immigration, mais pour écrire l'Algérie coloniale, cette empreinte ineffaçable de l'Histoire qui fonde et hante l'espace littéraire algérien. Il s'agit donc, d'un regain de réalisme, dont le socle est le chronotope de l'Histoire, privilégié par Bakhtine, où Histoire et histoire, destins individuels et nationaux s'enchevêtrent. Le héros Younes ou Jonas tourné vers le passé, fait le récit de sa vie. Confié par son père ruiné à son oncle marié à une Française, il fait l'expérience de l'écartèlement existentiel entre deux communautés culturelles différentes, opposées, voire antagoniques : la communauté arabe et celle des pieds-noirs. Son histoire individuelle est greffée sur l'Histoire de l'Algérie coloniale, sur l'immédiat politique des années 1930 - 1962, sur ses fractures et ses conflits.
Dans cette autobiographie fictive, Younes assume « la responsabilité historique de témoignage », à laquelle souscrit presque tout narrateur de récit colonial. Il se dresse en tant que témoin d'un passé qu'il restitue à la lumière du présent. Instance du discours, il installe sa deixis répartie en deux champs spatio-temporels : celui de l'énoncé - 1930- 1962, référant à deux dates cruciales, celles du centenaire de la colonisation, et de l'indépendance de l'Algérie-, et celui de l'énonciation -2008-, indiqué par le titre de la dernière partie du roman: « Aix-en-Provence (Aujourd'hui) ».
Si toute Histoire coloniale est fondée sur la conquête et la domination d'un territoire envahi par une puissance étrangère, l'essence du narratif dans tout récit colonial, la programmation de ses phases, la carrière romanesque de ses acteurs, les réseaux thématiques et symboliques qui le sous-tendent, sont inextricablement liés à sa spatialité fictionnelle et à sa régie topographique.
Quel est le discours émis par ce récit colonial ? Ce travail tente de répondre à cette question en cernant les opérations en jeu dans la stratégie discursive et narrative du récit et en y examinant les rapports entre histoire et Histoire.